Sur cette page : Une truite espiègle - La fable du vieil homme - Les esclaves heureux - Un sympathique imbroglio - D'un quatuor de "Papa Haydn" à un stade de foot - L'effondrement d'un monstre - Le musicien, la Bohême et la bohème - Un envol poétique - La rivière et sa symphonie - Le voyage dans la solitude - Une ombre rayonnante - Une symphonie son et lumière
Une truite espiègle
Il faut imaginer le tableau vivant d’une campagne verdoyante, parsemée de fleurs et de feuillus. Au milieu, un ruisseau calme et apaisant parcourt tout tranquillement son chemin en décrivant des méandres irréguliers.
Des femmes et des hommes se reposent sur la berge après le repas sur l’herbe, des enfants jouent au cerceau ou à cache-cache au milieu des rires et de la joie. Un peu plus loin, il y a la guinguette du coin, discrète, où les amoureux peuvent se rencontrer. Ils se regardent à l’infini dans leurs yeux clairs comme la lumière du bonheur de leur vie, qu’ils espèrent paisible et romantique. Un peu plus loin, en amont, un pêcheur, un peu rêveur, essaie de sortir une belle pièce tachetée, qui ne semble pas disposée à finir dans sa poêle.
Durant cet été magnifique, un jeune homme, âgé de vingt-deux ans passe des vacances dans une petite ville située au milieu de la campagne. Convié par un ami dans sa maison, il peut se promener à souhait dans les alentours, au milieu des senteurs estivales gorgées de rosée et de soleil.
Son hôte le considère comme un musicien accompli malgré ses difficultés à être reconnu du grand public. Il déménage le piano familial dans sa chambre afin de lui donner loisir de pratiquer et d’inventer, tel un chercheur d’harmonie, la beauté du son. Il apprécie particulièrement une chanson que son invité a composée deux ans auparavant et lui fait la requête d’en faire une œuvre plus marquante.
Le thème de la chanson composée deux ans auparavant est l’histoire d’une pêche à la ligne, écrite par un poète allemand du nom de Christian Schubart. Elle met en scène un pêcheur assis au bord d’une rivière, attiré par la présence d’une truite qui saute, frétille et qu’il essaie bien sûr d’attraper. La fin révèle une morale avec une mise en garde destinée aux jeunes filles. Elles doivent faire attention de ne pas se laisser séduire par les boniments des jeunes prétendants, prêts à tout pour les attraper également.
La bibliographie relève et décrit une phase de travail très ardue pour la composition de ce quintette en la majeur, comprenant un piano, un violon, un alto, un violoncelle et une contrebasse.
L’écriture de cette perle du début de l’époque bien nommée « Romantique » a malheureusement été oubliée pendant dix longues années car ce grand compositeur a eu des difficultés à faire accepter sa musique de son vivant. À la suite de son décès en 1828, son frère vendit la partition à un éditeur et cette œuvre magnifique, qui procure une sensation de fraîcheur à l’évocation de son titre, va s’épanouir pour le bonheur des générations suivantes.
Joyeux et vivifiant, le quatrième mouvement de « La Truite » référencé sous D.667 opus 114 de Franz Schubert représente le scénario cocasse du pêcheur se démenant pour attraper le poisson qui résiste, en se moquant de lui. Ce schéma a d’ailleurs été repris dans divers sens comiques par des humoristes charmés par la fable. Francis Blanche, les Frères Jacques, Raymond Devos se sont distingués dans des chansons et sketches mémorables.
Au regard des mille œuvres composées par ce musicien génial et prolifique, décédé à l’âge de trente et un an, il est un peu frustrant de savoir qu’il ne fut que peu reconnu durant sa courte vie. Comme plusieurs autres artistes en tous genres, peintres, sculpteurs ou écrivains, il a été obligé de passer des instants précieux à obtenir l’intérêt d’un public peu enclin à le suivre.
Heureusement, les chefs-d’œuvre des créateurs de beauté restent présents et s’amplifient avec le temps. Ainsi, cette brave truite prise par la mouche du pêcheur continuera longtemps à frétiller au son de cette musique, qui fait toujours le bonheur des passionnés de l’époque « romantique ». Etienne
La fable du vieil homme
Le vieil homme erre depuis longtemps, très longtemps. Son corps vigoureux l’a porté dans une longue marche sur des sentiers faciles, mais aussi escarpés. Il a passé de prairies en forêts, de talus en sommets, traversé des ruisseaux calmes, franchi des torrents fougueux. Malgré un peu d’expérience acquise, les mêmes questions lui reviennent en tête sans cesse, sans réponses concrètes. Trop souvent, il aurait voulu faire les choses d’une façon cohérente, mais cela n’a pas fonctionné. Il a parfois le sentiment de se noyer, ne sachant que faire pour reprendre sa respiration devenue hésitante, qui semble vouloir s’arrêter.
Harassé par des efforts physiques incessants, il s’accorde une pause et s’étend au milieu du champ attenant à son chemin, qui le reçoit à la manière d’un lit confortable. Après un long somme à l’ombre du vieux chêne qui trône au milieu de sa grande couche, il se réveille, l’esprit reposé et plus clair. Il se lève pour préparer ses affaires et remarque, de l’autre côté de l’arbre centenaire, une petite boîte en fer-blanc. Intrigué, il ouvre avec difficulté les bords rouillés et trouve un papier plié. Un court poème est écrit, légèrement effacé mais lisible :
Dans le rêve du monde dual, l’attrait du merveilleux se heurte souvent à ma raison. Raison qui veut me faire revenir au concret, au droit chemin et me souffle constamment : tu dois être raisonnable. Elle robotise mon être et m’empêche de déceler, dans cette portion de vie, la quintessence qui me tend ses bras depuis toujours.
Le reflet de ma pensée comble le temps telle une horloge qui, au lieu du tic-tac habituel, marque les étapes successives de l’existence matérielle en affichant : bien-mal, bien-mal, bien-mal, hésitante à accepter l’essence du bonheur.
Mais mon âme ne s’en soucie pas car elle vagabonde, heureuse dans le périple des souhaits. Ce périple est parfois inondé d’une pluie vivifiante, d’un soleil écrasant ou d’un froid mordant. Il est toujours composé d’images passionnées qui défilent dans la collection de l’existence éphémère déposée sur mon parcours. Cette existence jongle avec les anneaux de ma conscience et recherche jour et nuit la passion perdue, tant désirée. Enfin retrouvée et mise à l’abri dans le coffret intime, celle-ci attend patiemment la prochaine merveille qui surgira et elle s’évadera, pour son plus grand bonheur.
Réchauffé par cet intervalle de repos et de clairvoyance, notre homme reprend hardiment son chemin. Son périple le rapproche du village où il passera la nuit. En parcourant les ruelles pavées, son attention est attirée par une musique et un chant doux, harmonieux. Près de la fontaine se trouve une ancienne église construite de pierres brutes. Il s’arrête un instant sur le parvis afin d’apprécier ce son qui envahit l’espace, puis se décide à entrer, sans faire de bruit, dans l’oratoire.
Au fond, surélevé, domine un grand orgue ancien chromé, entouré de bois peint couleur bordeaux. En dessous se trouve un orchestre et juste un cran plus haut à l’arrière, un chœur chante une pièce magnifique. Debout à l’entrée du lieu sacré, le vieillard se délecte de la beauté du moment. Il ne ressent plus aucune appréhension et son visage, marqué par les épreuves, s’illumine. Heureux et apaisé, il se sent léger, prêt à repartir pour son voyage qui a trouvé un sens. Les questions resteront présentes et quelques réponses viendront peut-être, mais pour lui ce ne sera plus une fuite en avant.
Il a découvert que la réalité de l’existence, avec son lot de contradictions, se joue dans un immense et très beau théâtre dont la représentation comporte plusieurs actes. Certains sont faciles et donnent l’impression que la vie est un long fleuve tranquille. Ils sont peut-être les plus dangereux car ils amènent à la léthargie et font croire que c’est le confort qui représente le bonheur, ce qui est un leurre. D’autres sont un peu plus difficiles et l’on peut les contourner assez aisément. Enfin, certains drames donnent le sentiment que le voyage est terminé. Ceux-là sont les plus ardus à jouer et ils demandent du temps, seul allié précieux de l’homme pour se remettre des coups portés à répétition.
Le chant que le vieil homme écoute a été écrit en 1865 par un compositeur âgé seulement de vingt ans. D’une douceur absolue, il fait référence à un texte du Cantique Des Cantiques. Les paroles ont été paraphrasées de la Bible par Jean Racine, grand poète et dramaturge français du XVIIe siècle dont l’œuvre merveilleuse est toujours jouée à ce jour.
Gabriel Fauré a mis ce texte en musique et l’a sincèrement sorti de son cœur pour le bonheur d’un chœur. « Le Cantique de Jean Racine » est l’une de ses pièces les plus connues et il est interprété régulièrement dans le répertoire des chorales proches et lointaines.
Entretemps, le vieil homme a repris sa route et continuera avec courage à jouer son rôle dans la grande pièce de théâtre universelle qui porte le titre obligé de « La Vie ». Etienne
Les esclaves heureux
En langue espagnole, « Los esclavos felices » est un opéra créé par un jeune prodige de la musique entre les années 1819 et 1821. Celui-ci raconte l’histoire d’un noble espagnol et de son épouse enlevés par des maures qui furent sauvés par un comportement empreint de valeur profonde et par la clémence du roi d’Alger. La bibliographie relève que cet opéra rappelle la vivacité de Rossini et la suavité de Mozart.
À l’écoute de la pièce d’ouverture, on ressent une douceur et une harmonie évoquant le désert d’Afrique du nord. Le ton devient ensuite plus rapide et laisse entrevoir le scénario d’une action forte, voire brutale, suivie par une succession d’évènements tantôt graves, tantôt drôles. Le tempo monte, descend et ainsi de suite pour rejoindre un final détonant qui atteste un équilibre digne d’un grand maître de la musique.
Le nom de ce compositeur est Juan Crisóstomo de Arriaga. Il est né le 27 janvier 1806 à Bilbao soit le même jour que Mozart mais 50 ans après. Il fut baptisé par ses parents, qui étaient mélomanes, de ses deux premiers prénoms, Juan Crisóstomo (en version espagnole) en l’honneur de Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart.
Enfant, il était un musicien intuitif qui a commencé à composer à l’âge de neuf ans et à dix ans, il se produisait en tant que deuxième violon au sein d’un quatuor professionnel. En raison de son prénom, de sa précocité et de sa virtuosité, on lui donna rapidement le surnom de « Mozart espagnol » et ce titre n’a pas été dérobé au vu de la classe de ce jeune surdoué.
En 1821, ses parents l’envoyèrent à Paris où après seulement deux années d’études, il fut nommé professeur d’harmonie et de contrepoint au Conservatoire. Il composa plusieurs très belles œuvres, dont une cantate pour soprano et orchestre du nom d’Herminie, une symphonie en ré mineur en quatre mouvements, des quatuors à cordes et autres compositions, portant ainsi son art au sommet d’une courte gloire.
Il mourut en 1826 à Paris, victime de la tuberculose 10 jours avant son 20e anniversaire. Sa vie fut ainsi encore plus brève que celle de son homonyme autrichien, mort aussi précocement à l’âge de 35 ans.
Heureusement, le génie de ce compositeur n’a pas eu besoin de beaucoup d’années pour éclore. Son œuvre magnifique empreinte de passion et de travail a traversé les siècles. Elle est restée dans la mémoire des musiciens qui continuent à jouer ses pièces belles et harmonieuses. Etienne
Un sympathique imbroglio
« Tema e variazioni in Do maggiore » est le titre d’une pièce de musique écrite en 1781 par un illustre violoniste et compositeur italien du nom de Giovanni Battista Viotti (1755-1824). Il vit le jour à Fontanetto Po dans la Province de Vercelli, située dans la région du Piémont.
Très apprécié pour sa virtuosité, il voyagea dans toute l’Europe et écrivit une trentaine de concertos pour violon. En 1782, il s’installa à Paris et se mit au service de la reine Marie-Antoinette. Il est considéré comme l’un des initiateurs de la technique du violon moderne et collabora en 1785 avec Mozart, qui le tenait en grande estime.
Selon la bibliographie, des faits peu communs ont marqué la vie de ce compositeur et en particulier ce « thème et variations en do majeur » qui est une pièce très connue, mais pour une raison singulière. En effet, à l’écoute du morceau, et même sans être forcément attentif, on comprend tout de suite qu’il s’agit de la musique d’un hymne national connu dans le monde entier. Il est chanté avec émotion à chaque occasion où le patriotisme français est mis en avant et son nom est La Marseillaise.
L’histoire, mais surtout la tradition révèlent que la musique de cet hymne serait le fait d’un officier français du nom de Rouget de Lisle, capitaine du génie. Elle aurait été écrite dans la nuit du 25 au 26 avril 1792 à la suite d’une déclaration de guerre de la France à l’Autriche. Cet homme du génie militaire n’était cependant pas un génie musical. Des experts s’entendent pour affirmer que la création de cette pièce, au demeurant compliquée, n’aurait pas pu voir le jour en… une nuit et ainsi, un doute important s’est installé sur l’authenticité de son auteur. De plus, il ne l’a pas signée contrairement à ses autres compositions, qui par ailleurs n’ont pas connu un grand succès.
Il y a plusieurs années, un violoniste et chef d’orchestre du nom de Guido Rimonda a effectué des recherches importantes sur l’œuvre de Viotti. Il a retrouvé deux partitions du « Tema e variazioni in Do Maggiore », avec son nom inscrit et la date du 2 mars 1781, soit onze ans avant celle de Rouget de Lisle.
Un spécimen de la partition conservé à la British Library indique la mention suivante en italien attribuée à Viotti : « je n’ai jamais composé les quatuors ci-dessous ». Peut-être était-ce vrai et qu’il n’avait aucune raison de s’attribuer la paternité de l’œuvre en question. Cependant, il était étranger, ami de la reine Marie-Antoinette et menacé par les révolutionnaires, ce qui le conduisit par ailleurs à partir à Londres. Ainsi, il s’évita des ennuis dus aux graves troubles bien connus de cette époque.
Ironie de l’histoire, après s’être réfugié dans la capitale britannique, il fut obligé de s’enfuir encore à Hambourg car cette fois, il était accusé par les Anglais d’être proche des idées révolutionnaires, qui justement l’avaient obligé à quitter la France. Enfin, il revint vivre à Londres où il décéda le 3 mars 1824.
Une autre variante de l’écriture de cet hymne est attribuée à un breton du nom de Jean-Baptiste Lucien Grisons en 1787 dans le début de l’Oratorio Esther intitulé « Stances sur la Calomnie », qui lui ressemble énormément.
La finalité de cet imbroglio est que l’auteur est difficile à identifier. Dès lors chacun fera son choix, sans troubler les certitudes des adeptes de la tradition préférant une naissance de l’œuvre plus glorieuse comme dans bien des situations de l’histoire. Histoire qui se compose de faits souvent nébuleux, mais qui contribue tant au bien-être des nations, ceci faute d’une fraternité universelle.
Il reste dès lors à écouter la pièce « Tema e variazione in Do Maggiore » d’une durée totale d’environ onze minutes qui comporte évidemment dans sa phase initiale l’air de « La Marseillaise ». Dans son long développement, elle fait ressortir les diverses interprétations des instruments composant l’orchestre « Camerata Ducale di Vercelli », qui la joue d’une façon magistrale et joyeuse. Etienne
D'un quatuor de "Papa Haydn" à un stade de foot
Homme décrit comme bienveillant et attachant, le compositeur autrichien Franz Joseph Haydn (1732-1809) est représenté sur une gravure de Thomas Hardy, assis la main posée sur un livre de partitions, paisible à la manière des gens d’autrefois. Avec Mozart et Beethoven, il est à la base du classicisme viennois. Sa carrière musicale très prolifique, avec pas moins de 1195 œuvres, se déroula dès la fin de l’époque de la musique baroque au début de la période dite romantique, qui verra éclore entre autres Schubert, Chopin, Liszt et tant d’autres.
Il écrit en 1797 un cycle de six Quatuors à cordes référencé sous Opus 76 et parmi eux, le no 3 en do majeur Poco adagio cantabile. Surnommé « L’Empereur », il se décline en quatre mouvements, et fut à la base composé comme hymne impérial sous le titre de « Dieu protège l’Empereur François ».
En premier lieu, on peut y voir une pièce de musique parmi d’autres mais le deuxième mouvement est en réalité un air très connu, que beaucoup écoutent en diverses circonstances. Sa seule désignation de classification sous op. 76 ne saurait provoquer un souvenir, si ce n’est aux habitués du répertoire. Adapté probablement sur la base d’un air croate par le compositeur, il est interprété par deux violonistes, un altiste et un violoncelliste.
De ce deuxième mouvement, « Poco adagio cantabile », il émane un dialogue instrumental qui dégage de la suavité, de la nostalgie, de l’amitié. C’est un air prenant et d’une grande profondeur qui donne envie de l’écouter du début à la fin en arrêtant toute activité, car il provoque concentration et inspiration. D’une durée d’environ six minutes, les variations qui se suivent dans une harmonie parfaite en font l’un des plus beaux quatuors de cette période. Il confirme que les musiciens de cette époque réalisaient des œuvres superbes par un travail incessant. Celui-ci étant alimenté par leurs dons innés et une volonté de fer à cultiver les fruits d’une postérité méritée.
Plus précisément, cet air a été certifié par une voie différente que la pratique habituelle du répertoire des œuvres d’un compositeur. Ce mouvement harmonieux et gracieux est entré dans le temple de la renommée des musiques du monde. Des paroles y ont été greffées et des couplets ont été chantés à travers des époques qui furent, soit paisibles ou tourmentées et même parfois violentes.
Il est devenu chant utilisé à la manière voulue par des gouvernements successifs ballottés par les aléas de l’histoire, empire, république, dictature, division, transition, réunification. Depuis plusieurs décennies et encore actuellement, il reste dans une démocratie telle que nous la connaissons, avec ses hauts et ses bas, ses libertés et ses incohérences, mais toujours bien ancré.
Pour en revenir à l’essence même de cette musique de Joseph Haydn, comme mentionné plus haut, elle est effectivement très écoutée, et surtout lors des compétitions de football, car il s’agit, et certains l’auront deviné, de la musique de l’hymne national allemand.
Ainsi, lorsque les joueurs de la Mannschaft se posent sur le terrain, ils entonnent le « Deutschlandlied, le Chant de l’Allemagne » sur un tempo plus rapide que la pièce originale. Le stade est ainsi rempli de cette belle mélodie composée il y a 224 ans par ce grand compositeur autrichien que Mozart, qui était son grand ami, appelait affectueusement « Papa Haydn ». Etienne
L'effondrement d'un monstre
Sept merveilles ont été inventoriées dans le monde. Des lieux, des monuments divers, des antiquités et bien sûr quantité d’autres joyaux que l’on ne se lasse pas de découvrir. À l’opposé, il y a aussi le catalogue des monstres de l’horreur façonnés par l’homme à travers l’histoire, toutes époques confondues.
L’un d’eux s’est distingué durant une longue période au cours du vingtième siècle. Il a représenté la bêtise humaine à son apogée. Pratiquement infranchissable, il a été fabriqué d’un concentré d’extrémisme et de colère. Érigé de la peur continuelle qui pousse à se protéger d’une manière disproportionnée, il était censé protéger des peuples d’une idéologie différente. Ces peuples seraient ainsi préservés de la corruption d’une société définie comme néfaste.
Ne pouvant passer par-dessus au risque de chuter et de s’écraser à ses pieds, on ne pouvait alors que le contourner, le dévisager et le haïr. Sur ses faces ressortaient les marques de la stupidité et de la négativité, cependant parfois peintes aux couleurs de l’espoir. Associée à un pouvoir éphémère, cette œuvre de non-art malsaine représentait le droit de décider ce qui était bon pour l’un, mauvais pour l’autre. Elle entravait par contrainte la volonté naturelle du rapprochement universel, seule essence de l’humanité.
Néanmoins, ce faux bastion du pouvoir ne résista pas au cours subtil de l’histoire et l’amas aggloméré de haine et d’orgueil fut brisé.
En ce temps-là, un homme, qui ne s’attribuait aucun qualificatif politique, religieux ou ethnique, eut la surprise d’apprendre la mise à néant de la forteresse. Il se posa avec son violoncelle devant la masse chancelante et entreprit de jouer pour l’unité et la joie. Déchu de sa nationalité en raison de son esprit de liberté jugé excessif, il vivait en exil depuis de nombreuses années. Les dirigeants de l’époque estimaient probablement que son archet représentait un grave danger.
Après s’être installé sur une chaise devant la future ruine, dans le silence d’un auditoire très heureux de se retrouver dans cet instant historique, il joua « les Suites pour violoncelle seul » de Jean-Sébastien Bach.
Le public ovationna et congratula le virtuose russe Mstislav Rostropovitch. Des gens enfin libérés et heureux qui arrivaient depuis l’autre côté déposèrent même des oboles devant le violoncelliste. Ce détail contribua à rendre ce grand moment d’histoire non seulement solennel, mais aussi empreint d’humour.
C’était durant un jour du mois de novembre 1989 à Berlin. Le mur de la honte, le mur infâme, qui avait séparé des milliers et des milliers de gens était tombé. Durant une sombre période, de sa hauteur, il avait contraint des quantités de désespérés à essayer de fuir en courant ou en sautant depuis des immeubles sous le feu des gardes zélés. Des hommes, des femmes et des enfants tentaient leur chance, certains par les airs ou d’autres sous la terre comme des taupes, inspirant des actes de bravoure d’une part et de lâcheté d’autre part.
Selon la célèbre formule, « plus jamais ça » répétée maintes fois, il semblait que ce genre de procédé digne des plus grands maniaques du pouvoir ne devait plus se reproduire. Cependant, la leçon n’a de toute évidence pas vraiment eu l’effet voulu car depuis, des murs, rideaux de fer et barrières se sont remis à pousser dans divers endroits de notre bonne vieille terre. Nouvelles dans la liste des plus belles horreurs du monde, ces immondes constructions donnent encore à certains une impression de sécurité. Malheureusement et même si la vie est compliquée, l’usage de la force ne sert que temporairement son auteur. La leçon devrait être comprise.
Au milieu de toute cette absurdité demeurent les chefs-d’œuvre de Jean-Sébastien Bach qui eux, resteront gravés dans la liste des merveilles de l’humanité. Etienne
Le musicien, la Bohême et la bohème
Le compositeur bohémien Francesco Antonio Rosetti, né Frantisek Antonin Rösler (1746-1792) a écrit environ 400 œuvres, dont un requiem composé en 1776 et joué à la mémoire de Mozart à Prague en 1791. La biographie mentionne qu’après une formation chez les jésuites, le musicien abandonna les études de théologie pour se consacrer uniquement à la musique.
Il est l’auteur, entre autres, de symphonies, concertos pour piano, flûte, hautbois, clarinette, cor et violon et il a également composé une symphonie concertante pour deux violons et orchestre magnifique.
Une très belle pièce est le concerto pour violon en ré majeur, référencé sous Murray C 6/Kaul III:9.
Dans ce concerto, le violon dégage un charme évident et crée un espace qui amène l’ouïe dans une sphère musicale propre à exercer de la positivité et de la bonne humeur. La clarté du son apporte à l’âme son dû de réconfort et provoque une forme d’ivresse par le ton enjoué de l’œuvre. L’orchestre complète le tout de façon passionnée, confirme le sentiment d’une entité totale dans la composition et apporte la satisfaction d’écouter une pièce de musique magnifiquement élaborée.
Le participant à cette fête musicale peut ainsi se promener à son aise dans un espace gai, enrichissant et rafraîchissant qu’est celui de la Bohême, qui a vu naître le compositeur. Belle région située en grande partie dans l’actuelle République tchèque, parsemées de montagnes, de cours d’eau, de prés et de forêts. Il peut ainsi voyager en écoutant et en se fondant dans le paysage d’un lieu qui fût aussi un Royaume empreint d’histoire, de légendes et de contes.
En s’aventurant dans un temps lointain par l’imagination, au détour d’une clairière, on rejoint une troupe joyeuse d’artistes. Saltimbanques qui se déplacent d’un lieu à l’autre avec roulottes, chevaux et chiens et s’installent de façon éphémère dans un village afin d’y produire un spectacle. Véritable enchantement pour la vie des gens simples, à une époque où le divertissement était peu fréquent. Ce sont des joyeux lurons, tous amis, jongleurs, poètes, musiciens, peintres, pauvres, qui vivent au jour le jour pour l’art et la beauté en savourant les bienfaits de l’existence. Sans attaches, ils ne disposent que de peu mais ils sont heureux et tous convaincus que le seul idéal possible en ce monde réside en la fraternité et le partage. Des femmes et des hommes vêtus non pas de beaux habits mais enveloppés de grâce, de bonté et d’insouciance, pratiquant la charité à la place du profit.
Philosophie de vie ou manière d’exister dans la sérénité, la vie de bohème a toujours fait rêver des gens peu disposés à vivre au milieu d’un monde trop financier, trop matérialiste, trop obnubilé par les paillettes et les choses inutiles. Un monde où les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent.
Lorsque le compositeur a écrit ses œuvres, ou plutôt ses chefs-d’œuvre, le terme « la vie de bohème » n’était pas encore connu dans le sens qu’il lui a été donné un demi-siècle plus tard en France. Cependant, peut-être que les prémices s’annonçaient. Le charme de cette pièce musicale joyeuse et espiègle à l’esprit slave préfigurait le mouvement, se confondant avec cette belle région qui porte un bien beau nom… la Bohême. Etienne
Un envol poétique
L’été et ses caprices s’en vont doucement et l’automne prend ses quartiers. La nature auparavant verdoyante a revêtu un ton jaune, asséchée par le vent du sud. Aux heures de la nuit, le bourdonnement des insectes diurnes a cessé et dans un calme relatif, troublé par le chant des cigales, on aperçoit de-ci de-là des lucioles qui brillent comme des petits lampadaires. Au lever du jour, une timide rosée rafraîchit les allées foisonnantes de fleurs. Elles se développent dans l’espace du temps que leur a donné dame nature, affichant des formes et des couleurs dignes des plus belles images des impressionnistes.
Parmi toutes les belles plantes, il y a aussi les invisibles, les impalpables, les mystérieuses, qui portent un nom poétique. Mises en pousses et nourries par des artistes d’une qualité incomparable, elles représentent une partie de l’histoire de la musique. Prolifiques, elles ont fait plusieurs fois le tour du monde, cherchant à couvrir l’humain de leur douceur pour lui apprendre, ou du moins essayer de lui faire comprendre, que la musique adoucit les mœurs. Lui faire passer l’envie de bomber le torse et guerroyer pour des futilités inexistantes, si ce n’est dans certains esprits malades, qui assouvissent de faux désirs ou se vengent de frustrations. Que cette inutilité, pourtant facile à éviter avec un peu de bonne volonté, n’amène en finalité qu’à engendrer un décompte macabre et se plaindre du prétendu destin défavorable, qui n’est en rien coupable.
Dans ce doux mélange de classique et romantique joué au piano, la mélodie de ces poèmes s’envole et se disperse au gré du temps, au gré de la vie. Parfois heureuses, parfois mélancoliques ou nostalgiques, les notes se déploient dans le bel horizon. Le pianiste virtuose, seul avec son instrument, magnifie ce chef-d’œuvre composé d’une suite de pièces, toutes en harmonie, mais chaque fois différentes et racontant sa propre histoire.
Ces vingt et une caresses musicales sont numérotées, mais n’ont pas été créées dans l’ordre connu. De surcroît, elles auraient également pu porter chacune un titre en rapport avec les sensations qu’elles procurent. Dans la chronologie, qui n’a pas été établie au hasard et pour en citer quelques-unes, on peut ressentir que la première donne le ton du voyage à venir ; la deuxième, d’une beauté remarquable, évoque la douceur d’une époque ; la troisième donne à découvrir une histoire et son déroulement. Les suivantes apportent chacune un sens profond, de la joie et des rires, de la tristesse et des pleurs et ainsi, des arrêts sur image défilent en permanence dans les accords. La treizième dégage au début une douceur particulière suivie d’une partie plus grave et d’une fin solennelle. La dix-neuvième ressemble à une histoire d’amour finie en déployant ses périodes successives. La vingt et unième termine ce cycle majestueux en apportant un apaisement total dans la solitude de l’écoute.
Les poèmes dont il s’agit portent le nom de « Nocturnes » et ont été composés entre 1827 et 1846 par Frédéric Chopin. Avant lui, c’est le compositeur et pianiste irlandais John Field qui popularisa cette forme de poésie musicale très expressive. Il fut dès lors considéré comme le pionnier dans le genre et connut un grand succès.
Chopin avait une grande admiration pour Field et il s’inspira un peu de sa technique pour ses propres créations. On considérait que la sonorité émanant des deux musiciens était assez similaire et certains pensaient même que Chopin avait été l’élève de Field, ce qui ne fut pas le cas. Il créa ses « Nocturnes », imprégnés de toute sa sensibilité et sa virtuosité durant sa vie de compositeur. On y trouve un immense bouquet fait, entre autres de concerto, de sonates, de valses, de fantaisies, de ballades, de mazurkas, de polonaises, d’études, d’impromptus et bien sûr de nocturnes, qui ensemble, ont contribué à enrichir le jardin de la musique.
Le déroulé de sa vie ne peut se résumer à quelques lignes, mais plutôt à un livre de trois cents pages et d’ailleurs, il existe une importante littérature sur sa personne et son œuvre. Une courte bibliographie indique que Frédéric Chopin est né en 1810 dans le duché de Varsovie dans l’actuelle Pologne, d’un père français et d’une mère polonaise. Il développa dès son plus jeune âge un don pour la musique et particulièrement le piano. Dès l’âge de huit ans, il se produisit dans des cercles de l’aristocratie à Varsovie, ouvrant la porte aux comparaisons légitimes avec un illustre prédécesseur du nom de Mozart. Élevé dans la douceur d’un foyer aimant, le jeune prodige de santé fragile développa un caractère agréable, empreint de politesse et de courtoisie. Sa courte vie fut haute en couleurs, riche en rencontres diverses et surtout remplie des passions inhérentes à son esprit de de bonheur. Son créateur immense succès fut à la mesure de son œuvre globale magistrale qui perdure encore à ce jour et pour toujours. Etienne
La rivière et sa symphonie
C’est une œuvre patriotique à la gloire d’une rivière qui prend sa source dans la forêt de Bohême, qui traverse le pays tchèque et se jette dans un fleuve, connu lui aussi pour sa grâce et sa poésie, l’Elbe.
Bedřich Smetana (1824-1884), compositeur bohémien, est l’auteur du poème symphonique la Vltava (en langue tchèque) ou Moldau (en langue allemande), dans le cadre d’une œuvre intitulée Má Vlast (Ma patrie), qui est un cycle de six poèmes symphoniques. La référence de la pièce décrite est JB1 : 112 : Moldau.
Professeur de musique et chef d’orchestre, mais atteint de surdité totale dès une période de sa vie, il se consacra entièrement à la composition. Il réalisa, entre autres, cette magnifique histoire poétique qui décrit entièrement en musique le cours de la Vltava ou Moldau dans son pays depuis sa source et la vie au bord de ses rives.
Il a ainsi noté le déroulement sur sa partition, qui contient par ordre chronologique les étapes suivantes : naissance de la Moldau, chasse dans la forêt, la noce campagnarde, Clair de lune - jeux de nymphes, les rapides de Saint-Jean, La Moldau élargit son cours, la Moldau se jette dans l’Elbe.
Il a écrit : "Deux petites sources jaillissent à l’ombre de la forêt, l’une chaude et agile, l’autre froide et endormie. Elles s’unissent. Leurs prestes vaguelettes clapotent entre les cailloux et vibrent au soleil. Dans sa course hâtive, le torrent devient une petite rivière, la Vltava, qui se met en route à travers le pays tchèque dans un bruissement toujours plus ample", Smetana.
Flûte et clarinette jouent le thème de la source. Les cors de chasse sonnent pendant que les cordes imitent le cours de l’eau. Suivent les noces campagnardes avec la danse des participants. Le tempo se calme sur le clair de lune, les rapides de Saint-Jean (qui se trouvaient au sud de Prague et n’existent plus) sont décrites par les cuivres et le thème principal revient pour l’élargissement de la rivière et son plongeon dans l’Elbe.
La pièce de musique ainsi structurée donne une suite de tableaux vocaux pittoresques. Elle conduit à la création de décors supplémentaires où l’on peut facilement imaginer le débit de l’eau prenant source timidement devenir rivière et s’engager sous forme de méandres au sortir de la forêt de Bohême. Puis s’enfoncer dans le paysage pour parcourir une très longue distance à travers le pays slave. Pénétrer et animer des lieux désertiques sans bruits, des plaines gelées en hiver, verdoyantes au printemps, fumantes en été, colorées en automne. Des monts et des vallées, des champs où hommes et femmes s’affairent à la culture et à l’élevage, des villages aux scènes de la vie ordinaire faites de joies et de drames. Témoigner des rires des enfants heureux pataugeant dans son lit, respecter le silence des pêcheurs silencieux et concentrés, passer sous de nombreux ponts, s’énerver en dévalant les cascades. Prendre à elle des ruisseaux affluents qui la font grandir, pour aboutir fièrement à sa capitale Prague… mais quand même poursuivre son flux, grandir, encore et encore et finir pas se jeter dans sa grande sœur qui elle, prolongera son parcours pour rejoindre la mer du Nord.
Les diverses transitions de cette symphonie un peu hors du commun apportent une impression de vie qui correspond totalement au thème voulu par le compositeur. L’air principal, qui est d’une grande douceur et par ailleurs très connu, est repris en différentes orchestrations. La symphonie fait voyager l’auditeur et l’amène dans un périple poétique que toute grande musique est capable de faire, qu’elle soit ancienne ou contemporaine.
À la fin du manuscrit écrit en trois semaines par le musicien figure une note dénotant son état tourmenté, qui mentionne « suis complètement sourd », mais qui cependant ne l’a pas empêché d’écrire une superbe œuvre musicale sur son pays. Etienne
"Gute Nacht"
Le voyage dans la solitude
C’est un voyage un peu particulier. Non pas celui d’un été en bord de mer, d’une visite à une vieille tante qui vit en Écosse ou la découverte d’un pays exotique. C’est le voyage d’un homme qui avance en direction de son ultime destination.
Mélancolique et d’une beauté absolue, il raconte le dépit inhérent à la dernière partie du cycle d’une existence, dépit que beaucoup ont connu, que certains connaissent en ce moment et que chacun connaîtra à un moment donné. Le fameux terminus, celui qui remet la pendule à l’heure et corrige l’injustice, ceci hors de la volonté du prochain nommé sur la liste.
Cette poésie exprime une révolte intérieure teintée d’une sagesse obligée, dès lors que rien ne peut modifier le cours de la réalité, ou du moins ce qui semble l’être. Elle sert et ce n’est pas rien, à transcender l’état de désolation de l’homme face à ses derniers instants. Ce poème chanté, Lied en allemand, est considéré comme le plus beau, le plus expressif et bien sûr le plus triste de tous. Il a été composé dans la solitude d’un être en proie à la nostalgie du vécu et de l’amour non partagé. Homme vaincu par les paliers successifs de la vie, qui débutent dans la force de la jeunesse et se terminent dans la faiblesse du corps et de l’esprit.
C’est le poète allemand Wilhem Müller, auteur de nombreux textes durant l’époque romantique, qui composa ce poème décrivant une promenade au pays de la désillusion. Selon la bibliographie, Müller a écrit au sujet de son œuvre « j’espère avec confiance qu’il pourra se trouver une âme semblable à la mienne qui saisisse les mélodies glissées sous les mots et qui me les restitue ».
Son vœu fut exaucé par un musicien malheureusement peu reconnu à son époque, mais qui devint l’un des plus grands. C’est Franz Schubert qui mit en musique les paroles de « Winterreise » (voyage d’hiver) en 1827, soit un an avant sa mort. Il composa ainsi le cycle de vingt-quatre lieder pour piano et voix, référencé sous D.911. Lui-même solitaire et malheureux dans la maladie, il exalta les poèmes durant la dernière phase de son court passage ici-bas, sentant probablement sa fin proche.
L’auditeur peut alors embarquer dans la langueur des jours qui passent, dans un paysage hivernal fait de souvenirs nostalgiques transformés en différentes métaphores. L’écho de la narration décrit des scènes portant des titres tels que « Bonne nuit, La girouette, Larmes gelées, Engourdissement, Le tilleul, Torrent, Sur le fleuve, Regard en arrière, Feu follet, Repos, Rêve de printemps, Solitude, Le courrier, La tête du vieillard, Le corbeau, Dernier espoir, Au village, Le matin tempétueux, Illusion, Le poteau indicateur, L’auberge, Courage ! Le parhélie et Le joueur de vielle ».
Accompagné du piano, le chant en allemand déroule les différentes étapes. On ressent le calme et l’apaisement dans le beau souvenir, la colère et la lassitude dans la frustration et parfois la joie dans la perspective d’une orientation qui pourrait peut-être éclaircir le vécu.
La chaleur des notes et la saveur du chant transportent dans les temps anciens, pour une balade et une ballade avec les romantiques du XIXe siècle. Le mélomane est amené à destination, non pas dans la tristesse d’une fin inévitable, mais plutôt dans la joie d’une poésie musicale classée au patrimoine universel de la beauté.
Etienne
Une ombre rayonnante
« La musique deviendra peut-être pour lui (Félix) son métier, alors que pour toi elle doit seulement rester un agrément mais jamais la base de ton existence et de tes actes ». Selon les faits mentionnés dans la bibliographie, ces mots ont été écrits par un père à sa fille, née le 14 novembre 1805 et âgée de quinze ans.
Le père portait le nom d’Abraham Mendelssohn et sa fille Fanny, à qui était destiné ce mot, était également la sœur du prestigieux compositeur Félix Mendelssohn de renommée universelle. Fanny était son aînée de trois ans et demi, très douée pour la musique et excellente pianiste, elle n’eut malheureusement pas la possibilité d’égaler son frère pour des motifs relevant des us et coutumes discutables d’une autre époque.
Cependant, ayant reçu une très bonne éducation, elle eut quand même l’opportunité d’étudier la musique auprès de grands professeurs et artistes, membres du cercle de cette famille bourgeoise de Hambourg du 19e siècle. Ainsi, malgré ses talents reconnus, elle vécut dans l’ombre du grand compositeur en devenir, visiblement sans aucune animosité. Elle resta très proche de son frère, même si celui-ci, comme son père, lui déniait le droit de publier ses propres œuvres.
Non seulement elle l’aidait lorsqu’il lui demandait des conseils sur ses compositions, mais elle ira même jusqu’à jouer le rôle d’imprésario en lui organisant des concerts, des tournées et des rencontres avec des grands compositeurs de la période romantique, Charles Gounod, Franz Liszt, Robert et Clara Schumann. Cette dernière fut plus ou moins épargnée par cette forme de machisme car elle vécut une relation de couple plus avant-gardiste.
Telle une ombre rayonnante et à sa manière, Fanny Mendelssohn illustra le vieil adage selon lequel « derrière chaque grand homme, il y a une femme », qu’il s’agisse d’une mère, d’une épouse, d’une sœur ou d’une amie.
Elle épousa le peintre Wilhelm Hensel en 1829. Homme de onze ans son aîné, il l’encouragea à jouer et l’incita à publier ses œuvres mais sans succès. Ce n’est que très tard qu’elle se décida à offrir au public quelques créations de grande qualité, soit peu avant son décès d’une crise d’apoplexie à l’âge de 41 ans le 14 mai 1847. Conscient de la valeur de cette femme d’exception, le compositeur Charles Gounod décrivit Fanny comme « une musicienne inoubliable, une excellente pianiste et une femme d’une intelligence supérieure ».
Auteure d’environ deux cent cinquante Lieder et plus de cent pièces pour piano seul, elle démontra une force de caractère et de création peu commune, tout en ne trouvant pas le bonheur d’être reconnue de son vivant pour le travail effectué durant sa courte vie.
Sa « sonate pour piano en sol mineur » essaime quatre mouvements magnifiques en débutant par un « allegro molto agitato » qui peut, selon le ressenti, donner l’indice d’une situation personnelle tourmentée. Ce mélange de colère et de résignation s’affirme cependant dans l’excellence. Il ressemble à l’éclosion d’une grande et belle fleur et s’apparente au charme et à la beauté de la compositrice, d’après les images existantes à ce jour.
Le mouvement suivant « scherzo » semble raconter des faits amusants au travers d’une comptine dans un monde mystérieux et remet de la joie de vivre sur le chemin tortueux et parfois torturé de l’existence.
« L’adagio » arbore ensuite un apaisement façonné par l’estime de sa propre création associée à un courage à toute épreuve. Il ouvre le chemin au « presto-allegro moderato e con espressione » qui se dilue dans l’air tel le parfum de la grande et belle fleur éclose, pour dispenser un final agréable et heureux à cette pièce unique. En conclusion, cette sonate atteint son niveau le plus haut dans l’expression et la grâce par la virtuosité de la pianiste Anna Shelest dans une interprétation parfaite. Etienne
Une symphonie son et lumière
Harassés après la longue distance d’approche parcourue dès le lever du jour, les alpinistes montent leurs tentes et s’accordent une soirée et une nuit de repos au pied de la montagne, avant la dernière étape de l’objectif prévu, le sommet. Installés confortablement, ils chauffent de l’eau, mangent le repas tiré de leurs sacs et profitent d’étirer leurs membres endoloris par une quantité innombrable de foulées. Dans un calme tout relatif, ils perçoivent les divers sons de la nuit qui courent dans l’alpe, des sons étranges, parfois suspects ou même irréels. Au loin, la cascade se défoule sans répit et entraîne parfois des blocs qui s’entrechoquent dans un bruit de claquement. Au milieu de la brume nocturne descendue comme pour les impressionner, des images se forment dans les ténèbres de ce lieu majestueux. Enfin, ils s’endorment pour une courte nuit dans l’immensité rocheuse avant une prochaine journée qui s’annonce mouvementée.
Le soleil pointe le bout de ses rayons et la vie alpestre reprend son cours diurne. Un peu plus bas, un troupeau de bouquetins paît tranquillement dans un petit pré l’herbe rare à cette altitude. Un couple d’aigles virevolte, passant d’un pic à l’autre en planant avec une aisance à faire pâlir d’envie l’humain chargé de ses habits, ses souliers, son sac et ses outils de grimpe.
La randonnée reprend. Après la longue marche à côté d’un ruisseau et un passage dans une forêt dégarnie, le paysage se pare de blanc avec l’arrivée sur le glacier. Commence alors une avancée monotone où une grande prudence est de mise avant la partie raide et encore plus dangereuse, celle qui attend le varappeur, qui testera ses capacités et lui donnera, ou pas, l’autorisation d’accéder au sommet.
Éprouvés par des heures de marche et d’escalade, les deux hommes arrivent enfin au but de leur voyage au milieu de la roche nue et se posent sur une petite plateforme. Fiers de l’exploit accompli, couchés et appuyés sur leurs sacs, ils restent un long moment en contemplation du paysage éclatant, qui malheureusement fait place à des nuages noirs annonciateurs de l’orage. Maintenant, la décision à prendre est soit de descendre le plus rapidement, ce qui au vu de l’approche rapide du mauvais temps ne semble pas possible, soit de s’installer dans la cavité juste en dessous et se calfeutrer derrière la petite barrière de pierres en espérant que la foudre l’ignorera. Peu après le choix de cette deuxième solution, l’orage arrive et déroule son humeur fracassante, qui dans l’écho redouble de puissance. Les lumières électriques zigzaguent d’un point à l’autre, illuminent la noirceur du ciel en lui donnant une allure farouche, le tout accompagné par une pluie intense. Après ce long moment en tête à tête avec les éléments furieux, le fracas passe son chemin et continue son œuvre plus loin, plus à l’est.
Les marcheurs peuvent reprendre leur descente prudemment au milieu de la pierre mouillée et glissante. Épuisés mais heureux, ils rejoignent leur bivouac, qui ne sera qu’une étape de repos car ils devront ensuite redescendre jusqu’à la plaine, finalisant ainsi leur excursion.
Les péripéties de nos randonneurs peuvent s’apparier avec la Symphonie alpestre opus 64, composée par Richard Strauss (1864-1949) au début du vingtième siècle. Elle se compose en fait de plusieurs poèmes musicaux joués à la suite. Les différentes phases décrivent parfaitement les diverses ambiances alpestres, comme les oiseaux dans le vent, les flots tumultueux du torrent, l’inquiétude de la nuit, les passages dangereux, l’escalade et l’arrivée au sommet, la venue du mauvais temps, les temps difficiles… Mais aussi la beauté de l’édifice rocheux, la marche d’approche dans les pâturages fleuris et le bonheur lié à l’effort et à sa récompense.
La bibliographie indique que l’orchestration, créée à la base à la Philharmonie de Berlin, est particulièrement riche. Celle-ci emploie plusieurs instruments dont une machine à vent dans les percussions, mais également une fanfare séparée du reste constituée de douze cors, deux trompettes et deux trombones afin de donner le sens véritable d’une excursion en montagne, accompagnée de ses aléas. Ce magnifique tableau en musique, qui dure environ une heure, est constitué de vingt-deux parties toutes jouées sans interruption, dans le but de faire vivre une action continue du début à la fin du voyage. Il représente un bel hommage à l’alpe de ce grand musicien qu’était Richard Strauss. Adepte de la montagne, il vécut une grande partie de sa vie, jusqu’à son décès, à Garmisch-Partenkirchen dans les Alpes bavaroises. Nul doute que ses nombreuses randonnées l’ont inspiré dans l’écriture de la musique de sa grandiose Symphonie alpestre. Etienne