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Une symphonie d'orage

En 1880, le peintre autrichien Carl Schweninger le Jeune (1854-1912) peint une toile qui porte le titre de « Beethoven en pied dans un paysage d’orage ».

Sur ce beau dessin qui le représente en 1795, soit à l’âge de 25 ans, on voit le compositeur au premier plan debout, le regard prenant. À sa main droite, il tient son chapeau et sa canne, sa main gauche est posée sur le côté droit. Elle retient un pan de son manteau du vent et de la tempête orageuse qui figure en arrière-plan. Derrière lui, un banc où il était peut-être assis avant la venue du mauvais temps.

Quelques années plus tard, durant une période où il commence à subir les effets de sa surdité, il compose sa symphonie no 2 en ré majeur opus 36. Le 1er mouvement Adagio molto-Allegro con brio peut transporter l’imagination dans le cycle d’un orage, ceci par la puissance et l’énergie qui en découle.

À l’écoute de la symphonie et si possible en augmentant un peu le volume afin de se mettre en accord avec cette musique musclée, qui secoue l’esprit, on peut visualiser les acteurs présents. On peut ressentir les diverses phases du drame qui se mettent en place dans le ciel, dans un spectacle son et lumière.

Débutant calmement mais en laissant supposer une suite plus houleuse, le concert démarre un peu comme le beau avant la tempête. Une atmosphère chaude et peu à peu la tension monte, la puissante symphonie démarre, l’air se charge d’électricité, la brise se renforce et provoque des tourbillons. La scène musicale se met en place et le public ressent les effets de la venue des éléments qui vont se déchaîner. Dehors les insectes s’affolent, les bêtes se mettent à l’abri, les hommes prennent des précautions, des fenêtres se ferment.

Le chaos se forme avec l’arrivée des nuages épais et noirs augurant l’ouverture des vannes aériennes. Les rafales de vent, qui augmentent et diminuent au gré de l’intensité désirée par le ciel, font plier arbustes et arbres. Les volets mal fixés claquent et les objets mal arrimés volent en tous sens.

Les éclairs arrivent en lézardant la voûte d’électricité. Et enfin le maître tonnerre qui, en vertu de sa puissance, explose de cette force que l’on décrit telle que sa vigueur canalisée suffit à produire une énergie colossale.

Puis vient la pluie, abondante, en grosses gouttes et parfois en grêle qui parvient à remplir récipients et citernes en quelques minutes. Ainsi, un lac percuté par les frappes étincelantes successives s’agite et se confond en vagues, des vignes se recroquevillent, des champs se couchent. Les détonations résonnent sur les parois rocheuses et pour un moment tout est remué, désarçonné par un désordre total, pourtant exécuté dans un ordre voulu. L’intensité de cette composition est comme celle de l’orage, elle monte, monte pour atteindre le sommet de la force. Ensuite, elle finit par redescendre comme tout ce qui se produit sur cette bonne vieille terre. Les évènements arrivent, créent des remous durant le temps d’une vie humaine, mais à l’échelle du cosmos ne font que trois petits tours et puis s’en vont.

Avec les violons, altos, violoncelles, contrebasses, timbales, cors, trompettes, clarinettes, bassons, flûtes et hautbois, les musiciens et le chef d’orchestre éclatent de bonheur en jouant cette symphonie qui dispense une beauté orageuse. La philharmonie est parfaite et parvient à transcender les vœux du compositeur Beethoven dont l’œuvre universelle fut l’une des plus glorieuses de l’histoire de la musique.                    Etienne

Le rayon de lune

Visite d’un soir dans le parc imaginaire qui abonde de musique et de poésie. Situé au bord du chemin de campagne, entre la forêt et le champ de blé moissonné, nourrissant de ses restes des oiseaux qui se laissent porter par les frimas. C’est le début de l’hiver, novembre laisse sa place à décembre, dans la plaine givrée souffle un vent du nord glacial, pétrifiant les arbres que les feuilles ont abandonnés, lassées de se tenir aux branches secouées par les rafales successives.

L’herbe crisse sous les pieds et annonce un crépuscule polaire qui sera particulièrement piquant, le vieux portail en fer forgé ne se laisse d’ailleurs pas toucher à mains vives, au risque de se brûler de froid.

En parcourant les allées, on remarque les cultures extérieures figées, prostrées dans l’arrêt imposé par une saison où la vie ralentit, où la nature se calme, où les animaux des bois se terrent et où parfois, mais pas toujours, même des hommes comprennent qu’une pause temporaire dictée par le blizzard peut s’avérer nécessaire à la restauration, voire à la réparation de l’âme.

Le ciel clair brille, décoré de ses astres, eux-mêmes dominés par une lune superbe qui semble veiller sur sa bonne vieille terre, évitant de la laisser dans une obscurité absolue et montrant ainsi le chemin aux téméraires qui s’aventurent hors des sentiers. Tout à coup, dans cette ambiance hors du temps, le silence fait place à un son calme, soutenu et nostalgique.

Dans le large espace arrosé de la quiétude de ce lieu heureux, la sonate se fait entendre, elle porte la référence « Quasi una fantasia » (presque une fantaisie) no 14 en do dièse mineur, op. 27/2 et se décline en trois mouvements, « Adagio sostenuto, Allegretto et Presto agitato ».

Elle a été composée en 1801 par Ludwig Van Beethoven et fut dédiée à son élève de piano la comtesse Giulietta Guicciardi, âgée de 17 ans, qu’il aimait passionnément.

Cinq ans après le décès du compositeur, un poète allemand du nom de Ludwig Rellstab, qui en l’écoutant éprouva le sentiment « d’une barque voguant au clair de lune sur le lac des Quatre-Cantons » lui donna le surnom de « la Sonate au Clair de lune », une des pièces de musique les plus écoutées dans le monde par l’émanation particulière qu’elle libère.  

Certains musicologues se sont insurgés contre ce surnom car ils ont qualifié le premier mouvement de cette sonate de marche funèbre et musique de deuil, ce qui peut tout à fait convenir. A ce sujet, la bibliographie relève d’ailleurs que Beethoven aurait dit au violoniste Karl Holz, qui était également son secrétaire, que ce premier mouvement était le fruit d’une improvisation composée auprès du cadavre d’un ami !

Fait pittoresque mais pas choquant, car autres temps autres mœurs, qui peut savoir comment un homme de cette envergure, avec un tempérament reconnu très puissant, voire tempétueux, disposait de ses capacités pour créer ses chefs d’œuvre. De plus, il estimait que cette œuvre très appréciée de son vivant n’atteignait pas le niveau d’autres pièces composées par la suite.

Cependant, les affirmations des experts aussi justes seraient-elles, n’ont pu résister à la ferveur populaire, au ressenti du poète Ludwig Rellstab, mais également aux pianistes qui ont contribué à magnifier cette œuvre de virtuosité. Ainsi, les belles notes qui s’envolent en se suivant avec grâce dans la voûte céleste en direction de l’astre croissant décroissant porteront pour toujours le surnom de « La Sonate au Clair de lune ». Sonate dont la tonalité, faut-il le préciser, est aussi séduisante que devait l’être la belle comtesse Giulietta.       Etienne

La belle romance

C’est un poème enchanteur composé en 1798. Il ne fait pas appel au sens de la vue, mais au sens de l’ouïe et surtout, à la réceptivité du cœur. Dans un moment destiné à la tranquillité et dès lors que l’on ouvre son âme à l’harmonie, les conditions sont remplies pour apprécier la Romance pour violon et orchestre No 2 en Fa Majeur, op. 50, issue de l’œuvre immense de Ludwig Van Beethoven.

Cette Romance instrumentale sublimée par le violoniste, qui est  parfois interprétée en duo piano et violon, porte parfaitement ce terme comme un condensé de beauté, de finesse et de suavité.

À la fois nostalgique, grave, sérieuse, mais aussi marquée d’espoir, elle symbolise très bien l’état d’esprit du virtuose lorsqu’il l’a écrit et ainsi, tel un écrivain qui couche sur feuillets ses pensées les plus profondes, son ressenti intime a été fidèlement mis en musique.

Le sentiment qui déclenche la poésie musicale du compositeur apporte une pièce d’une sincérité totale, recherchée, qui déroule les états de l’âme de l’être, joie et tristesse, bonheur et déception, rires et pleurs, le tout traduit par le violon, instrument qui maîtrisé, en a fait un poème de portée universelle au même titre qu’un écrit de Victor Hugo.

On devine une forte émotion chez le musicien durant la période d’écriture de l’œuvre. Le début d’une histoire d’amour, de passion peut-être. D’où lui est venue une telle inspiration ? Possiblement d’un épisode de sa vie intense pour une personne… Qui lui a peut-être rendu le sentiment, mais peut-être pas. L’air fait ressortir des frissons de désespoir et d’espoir, une mélancolie amoureuse soutenue comme provoquée par des doutes, qui fait place par moments à une joie animée par l’attente d’un amour réciproque.

Quelle que soit l’origine du trait de génie, le résultat est à hauteur de perfection et emmène le passionné ou le novice dans la délicatesse, le raffinement et l’exquise maîtrise des notes qui, à la manière d’une rosée matinale inonde l’esprit d’une luminosité et d’une splendeur à la fois dans et hors du temps.

Cette capacité de concentration quasi irrationnelle dans un monde enveloppé de rationnel, où tout est censé avoir une place définie, que le musicien transcende en créant son poème musical par le sentiment prédominant et le don, en faisant fi du reste, est la marque des personnages hors du commun.

Romances, concertos, symphonies, sonates, messes et autres sont des prodigieux moments d’harmonie que les compositeurs nous ont légués et cette belle et chaude Romance instrumentale du grand Ludwig Van Beethoven a contribué elle aussi à donner du meilleur, dans un monde empreint de relativité et de dualité.      Etienne