Claude Monet
La sérénité dans la panique
C’est tellement beau que ça donne envie d’y entrer. Il faudrait enjamber l’image, passer la jambe gauche, puis la jambe droite et se retrouver dans le paysage somptueux dessiné par l’artiste peintre, pour se poser tranquille peinard au printemps d’un temps ancien.
S’asseoir et contempler cette nature « naturelle ». Nature qui connaissait aussi les affres des saisons, mais qui souffrait moins des excès des actions humaines. Une nature sans voitures dans le paysage, sans avions dans le ciel, sans satellites dans l’espace et surtout sans les bruits intempestifs liés à la course à la vitesse qui caractérise notre époque.
Ainsi, on peut aisément imaginer le peintre assis sur son tabouret devant son chevalet, au centre de ce paysage qui deviendra son chef-d’œuvre. Entouré des arbres et des arbustes, de l’herbe fraîche du petit matin et chaude de l’après-midi, des oiseaux gazouilleurs qui profitent de lui rendre visite, du lézard qui lézarde sur le mur de pierres sèches… mais aussi du chien qui se dore le poil au soleil, des chats qui ronronnent à ses pieds et qui reçoivent peut-être parfois une gouttelette teintée, participant malgré eux à l’élaboration magistrale de la toile.
Il est difficile de comprendre une telle finesse dans la perception de l’environnement, mais aussi le don quasi divin qui porte à refléter un paysage avec une telle grâce. Qu’il s’agisse des coups de pinceaux subtils, des choix de couleurs réfléchis et des mises en forme de la lumière, on reconnaît avec grande joie que le chef-d’œuvre résulte exclusivement de l’intelligence naturelle (IN) du grand peintre.
On doit la création de ce superbe tableau intitulé « Le Printemps » à Claude Monet, fondateur avec ses pairs de l’impressionnisme. Il a été peint durant la deuxième moitié du XIXe siècle et fait partie de son œuvre gigantesque et admirable.
Bien des années plus tard, soit maintenant, deux jeunes activistes pour le climat projettent de la soupe sur ce tableau exposé dans une galerie française. Acte répréhensible impardonnable, émoi, stupeur et colère, tous les reproches sont légitimes. On ne touche pas aux œuvres de Monet, Gauguin, Van-Gogh et à celles de n’importe qui d’autre d’ailleurs. Heureusement, et comme cela se fait de plus en plus, la toile était protégée par du verre. En revanche, le cadre a subi des dommages.
On peut se poser la question sur la réaction qu’aurait le grand peintre dans le contexte actuel au sujet de ce méfait. Serait-il offusqué ? Demanderait-il un châtiment exemplaire ? Je ne crois pas ou du moins, je me plais à ne pas y croire.
Symboliquement, les deux jeunes sont sa descendance et il est peu probable que sa réaction ait été violente. Il faut regarder une photo de lui au crépuscule de sa vie, avec sa grosse barbe et ses grands yeux qui semblent vouloir dire : j’ai passé mon existence à magnifier la beauté. Probablement qu’à la découverte du désarroi du monde actuel, il aurait été bien peiné et aurait fait preuve de compréhension et de compassion pour l’état de panique des vandales en herbe.
Lorsqu’on est jeune, on est impulsif et les actions d’éclat sont souvent privilégiées au détriment de la réflexion. L’acte en soi n’était pas contre lui, car le plus souvent ceux qui le pratiquent possèdent un bagage culturel et arrivent à reconnaître les belles œuvres.
Le but de cette action coup de poing stupide résonne comme un appel désespéré, du même genre que celui d’un enfant ou d’un ado lorsqu’il se trouve devant une situation inextricable et cherche de l’aide. Le peintre aurait compris que tout ce gâchis est dominé par la peur, mauvaise conseillère et responsable de la plupart des maux sur cette terre.
Ceux qui doivent apporter la réflexion et le pragmatisme sur ce sujet font défaut, chacun individuellement pense à son steak et seule une action mondiale pourrait peut-être s’avérer efficace, mais totalement utopique au vu de la mentalité humaine.
L’artiste aux innombrables chefs-d’œuvre aurait peut-être dit que le mieux serait déjà de désamorcer le chaos et devenir raisonnable car en finalité, quelles que soient les causes, la nature aura le dernier mot. Dès lors, pour certains, il faudrait apprendre au moins à renoncer à certains privilèges matériels exagérés et pour d’autres, à ne pas se protéger derrière un extrémisme qui dessert plus qu’il ne sert.
En conclusion, avec un beau sourire apaisant et encourageant, il aurait sûrement enjoint les jeunes activistes et tous ceux qui le désirent à enjamber le tableau. D’abord passer la jambe gauche, puis la droite, pour se poser tranquille peinard dans son printemps, afin de retrouver la sérénité. Etienne