Sur cette page : souvenir d'un voyage au Vietnam

Un pays du sourire

Hanoi se réveille sous un ciel gris. Le temps humide du mois d’avril dans la capitale du Vietnam annonce la prochaine mousson. Les pluies permanentes vont bientôt tomber durant une longue période et contribueront à constituer les précieuses réserves.

Déjà, les scooters défilent dans les rues qui s’animent. Par dizaines, centaines, milliers, les pendulaires vivant à proximité de la capitale affluent pour prendre leurs emplois. Commerçants, fonctionnaires, employés, ouvriers se déplacent à la manière d’un essaim d’abeilles qui rejoint sa ruche. Dans ce qui semble être un chaos total pour l’Occidental, l’ordre règne par la discipline que s’imposent les conducteurs, la plupart des jeunes, sachant que soixante pour cent de la population est âgée de moins de quarante ans. Concentration et courtoisie sur la route contribuent à fluidifier un trafic intense, dont les effets sur l’environnement ne sont pas en passe d’être résolus. 

À la gare, le train couplé à une ancienne locomotive est prêt au départ avec ses passagers en partance vers le sud. Les échoppes détachent de leurs devantures les panneaux de protection en bois massifs et étalent les fruits et légumes qui colorent les rues. Les vélopousses se garent en attente du promeneur. Celui-ci part pour une visite à un rythme lent et régulier qui lui permet de voir l’instantané, de sentir les odeurs de l’Asie et de ressentir l’ambiance enthousiaste des ruelles. De grands panneaux avec des images et des slogans patriotiques bordent les routes, rappelant que le Vietnam est l’un des cinq derniers pays communistes au monde et que l’idéologie y revêt encore une importance capitale, malgré la présence de l’économie privée depuis plusieurs années.

Les temples ouvrent et reçoivent les premiers visiteurs, certains venus par curiosité, d’autres pour des motifs plus profonds. Dragons, tortues, statues et symboles divers se partagent les histoires du ciel, de la terre, de la guerre ou de la paix. Des rouleaux d’encens qui brûlent en permanence parfument ces lieux saints du Bouddhisme, du Confucianisme et du Taoïsme. 

À plusieurs centaines de kilomètres à l’est, en parcourant des villages entourés de rizières, une merveille du monde se profile. On aperçoit alors les bateaux à quai en partance pour la baie d’Ha Long. Ce site naturel en mer est essaimé de petites îles de grandeurs différentes recouvertes de forêts luxuriantes d’où jaillissent des cris d’oiseaux ou de petits mammifères. Avec un peu de chance, on peut apercevoir une jonque qui glisse sur l’eau pour défier le temps, rappelant au vacancier de respecter ce lieu qui existait bien avant lui et qui maintenant fait l’objet d’une surexploitation touristique.

La descente du long territoire en forme de « S » amène au centre, à Hué. À proximité de cette ancienne capitale du Vietnam se trouve Hôi An, la ville des lampions. Située au milieu des rizières, assez proche de la mer, elle constitue un attrait certain par la douceur de son climat. Ornée en permanence de milliers de lanternes fabriquées à la main dans de petits ateliers, cette ville paisible en journée s’anime aux heures du soir et présente un panorama féérique de l’art raffiné asiatique. Des milliers de lumières sont allumées, des bateaux sillonnent le cours de la rivière qui traverse le lieu, entrecoupée de petits ponts. En bord de mer, des pêcheurs sur des bateaux paniers, à l’apparence de demi-noix de coco, naviguent tranquillement et ramènent au petit matin le produit de la pêche nocturne.             

Le trajet continue en direction du sud et de Saigon, baptisée par la suite Hô Chi Minh-Ville, du nom du leader révolutionnaire communiste, surnommé affectueusement oncle Hô par les Vietnamiens. Il fait une chaleur étouffante dans cette ville immense et très américanisée de près de dix millions d’habitants. Des avenues délimitent des immeubles ou plutôt des buildings qui n’ont rien à envier à ceux de l’autre oncle, celui que l’on appelle Sam. À l’évidence, le Saigon de l’époque coloniale n’est plus vraiment visible, mis à part des maisons classées et des édifices emblématiques comme la Poste centrale, la Cathédrale Notre-Dame ou l’Opéra, entourés de bâtiments ultramodernes.

Au nord de Saigon se trouve le site des tunnels de Cu Chi qui sont dispersés sur plusieurs districts. Le visiteur se trouve plongé dans un environnement qui a dû représenter pour bien des soldats américains une partie du voyage au bout de l’enfer. Créés au départ par le Viet Minh (organisation indépendantiste communiste) à l’époque de l’Indochine française, des tunnels souterrains fabriqués à la force des bras, conçus pour la taille du soldat vietnamien, ont été creusés sur trois niveaux pour résister aux bombardements successifs, ainsi qu’à la dispersion de l’agent orange défoliant et du Napalm. Ces produits de terreur étaient couramment utilisés par l’armée américaine, pressée de venir à bout de la résistance du Viet-cong. C’est ainsi qu’un réseau de 250 km de tunnels a été intelligemment élaboré, avec cuisines, salles de repos, armureries et hôpitaux de guerre. Dans plusieurs endroits, des fausses termitières cachaient les entrées, et des sorties d’urgence rejoignaient directement une rivière. La découverte des pièges terrifiants, composés de trous remplis de piques en fer et de cachettes invisibles incite à une certaine réflexion sur la capacité de défense d’une zone.

Un peu plus à l’ouest, à trois heures de route de Saigon, on aperçoit le majestueux Delta du Mékong. Le fleuve parti du Tibet termine son voyage au sud du Vietnam. Il a traversé la Chine, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande et le Cambodge en dispensant ses bienfaits le long de son parcours d’environ 4'500 km. Sur les versants entourés de forêts tropicales et luxuriantes, le passager accoste pour se retrouver une fois dans une briqueterie, une fois dans une entreprise de conditionnement de noix de coco, toutes deux profitant du transport par voie fluviale. Après une traversée en pirogue au milieu de la jungle, une petite maison modeste accueille le voyageur. Entourée de manguiers, jacquiers, cocotiers et bananiers, elle présente un mode de vie rural modeste, au plus près de la nature. Au milieu de sa famille, un ancien combattant, enrôlé durant cinq ans dans la guerre contre les Khmers rouges du Cambodge, vient s’asseoir pour parler, répondre à des questions sur ce drame, un de plus, vécu par tant d’hommes et de femmes dans ce coin de la planète.

Aujourd’hui, la nation des Viets est en paix, sa nature est magnifique et où que l’on se trouve, des petits restaurants populaires appellent à déguster des plats traditionnels composés de riz ou nouilles de riz, agrémentés de légumes, de poisson et de viande. A la fin du repas, le traditionnel café au lait glacé sert de digestif au client qui repart heureux de l’accueil, car nous sommes au pays du sourire vrai et chaleureux. Sourire d’un peuple résilient qui a vécu une période de quarante années de guerre et de misère durant le vingtième siècle. Beau sourire, récompense ultime d’un état d’esprit global qui a su maîtriser sa survie.    Etienne