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Dans le taillis

Le vent chaud du sud couvre l’atmosphère et donne une couleur bleu pâle au ciel. Les champs de blé ondulant honorent la vie et roussissent dans l’attente de la moisson. L’été, saison lumineuse, développe tout son charme sur la terre qui profite de sa douce chaleur. Pour trouver de la fraîcheur, la forêt avec ses grands arbres, ses buissons de fougères et son tapis de mousse humide propose sa complicité. À l’intérieur, des bruits se font entendre et laissent deviner une vie intense et cachée. Discret et rusé, peut-être que Maître Renard se trouve dans le coin sans se faire voir, allez savoir… et puis tout à coup, ô merveille !

En cheminant calmement et tout doucement

le long d’un frais et mousseux sentier forestier,

je vis par grande surprise et fortuitement

un beau goupil très roux et un peu effaré.

 

Crispé, étonné et tout prêt à déguerpir

il demeura cependant fixe et immobile

ayant l’air de s’interroger et de se dire…

pourquoi fuir ? Ce serait quand même trop facile.

 

Tentons de discuter avec cet inconnu.

Peut-être pour une fois, n’est-il pas mauvais

comme ses frères d’habitude corrompus  

de leur race et de leur rang, fréquemment si laids.

 

Reste roux malin, je ne te veux que du bien.

Demeure sur cette place et ne t’enfuis pas.

Avec toi discuter serait mieux, ô combien

que t’apporter misère, douleur et trépas.

 

Calmé, renard me fit en premier remarquer :

sache d’abord que ce taillis est ma maison,

alors c’est toi ici qui es un étranger

et pour cela fais-toi une bonne raison.

 

Regarde, observe bien, apprécie et profite,

mais attention, ne cherche en aucune façon  

à t’attribuer la possession de mon site,

qui change en harmonie au gré de la saison.

 

Aimé Goupil, l’unique dessein recherché

n’est que de vouloir sincèrement un ami,

je t’apporte donc le respect et l’amitié

sans aucune ambition de perturber ton nid.

 

Heureux d’entendre ça et enfin détendu,

maître renard me montre d’une façon fière,

la tanière où il demeure dès le début,

d’une très chaude et bien confortable manière.

 

Ton habitation est sans doute plus austère

que le puissant château conçu par le terrien,

qui trop souvent édifie pour faire le fier

et prouver sa domination sur son prochain.

 

Ta vie est assurément simple et plus légère

que l’existence si compliquée de l’humain,

qui maintes fois la dirige par la colère,

jusqu’à dépouiller son frère de son butin.                                                       Etienne

La vallée

Au fond de cette vallée, il y a une rivière qui coule joyeusement en faisant des tours et des contours. Toute jeune, elle a pris son départ un peu plus haut, là-bas, au faîte de l’alpe. Son eau fraîche caresse les pierres polies qui lui servent de lit. Rejointe par ses petites sœurs ruisselantes depuis les nombreuses sources, elle est transparente comme une eau-de-vie. Dame nature lui désigne la direction à prendre et bientôt, c’est elle qui rejoindra son grand frère le fleuve en partance pour le nord.

Sur les pans de cette vallée, il y a des grandes forêts qui montent la garde. Nobles surveillantes des parois abruptes, elles retiennent la pierre qui se détache, bloquent l’avalanche destructrice. Les bois à aiguilles et à pives ne changent pas au fil des saisons. Ils sont robustes et conservent toujours leur dignité. Têtus, ils ne cèdent que rarement et lorsque la bourrasque s’acharne à les faire ployer, ils préfèrent souvent se briser que de courber l’échine.

Partout dans cette vallée, il y a des prés innombrables. Ils détiennent le secret de l’abondance et nourrissent le bétail à foison. Soignés comme des jardins, ils sont séduisants et reflètent l’amour des gens de la terre pour le travail bien fait, au prix d’efforts considérables. Couverts d’herbe grasse ou recouverts du manteau blanc selon le solstice, ils sont présents dans le bas, dans le haut, ils sont visibles ou cachés. Ornés des belles fleurs alpines, ils tapissent les combes de couleurs chatoyantes.

Le long de cette vallée, il y a des chalets aux façades fleuries sur lesquelles sont écrits des mots de gratitude. Habillés de noble manière par une noble matière, ils ont été façonnés par le temps et ont acquis une endurance à toute épreuve. Marqué ou même ridé, le beau vieux bois a vieilli, semblable aux vénérables grands-mères et grands-pères qui ont vécu des existences austères.

Dans l’âme de cette vallée, un peu plus haute qu’ailleurs, un peu plus isolée qu’ailleurs, se trouve une quiétude un peu plus appréciable qu’ailleurs. Au gré de la promenade, le silence se fait entendre dans la belle solitude, la vision se repaît de beauté et l’esprit s’éclaircit.

Au sein de ce haut pays, auprès de cette vallée, minuscule point de l’univers, l’humain a trouvé un foyer enchanteur.                                                                                                                   Etienne

Un homme au sol

En fin de soirée, dans la grande ville, fière de son évolution, un homme tombe sur le trottoir grisâtre en regagnant son domicile. Lentement les heures de la nuit passent, le matin arrive, froid et sec, comme la douleur qui pique son corps malade et meurtri.

Des gens passent et repassent encore, mais eux aussi souffrent d’une maladie, c’est celle de l’indifférence. Qui est cette personne pour eux ? Eh bien justement personne, rien ou peut-être juste un sans-abri parmi d’autres, qui cuve un fond de bouteille qu’il a trouvé dans une poubelle. De toute façon, ils n’ont pas de temps pour ça car ils souffrent aussi de la maladie de la vitesse. Et puis enfin, s’il fallait s’arrêter chaque fois qu’un homme stagnait à terre comme une flaque, mais où irait-on ?

Déambulant dans les dédales de la belle ville, un clochard arrive, portant avec lui un vrai cœur. Inquiet à la vue de ce tableau aux couleurs funèbres, il comprend que l’homme est en détresse. Qu’il n’est pas de son milieu et que ses habits ne ressemblent pas au code vestimentaire de la cloche. Il sait que la situation est grave et il avertit.

L’homme agonisant ne vivra plus longtemps, la grande faucheuse, trop heureuse de l’opportunité offerte par les passants malades, s’est déjà occupée de lui. Il est parti suivre un autre chemin, celui d’un monde à la fraternité plus évoluée.

Quant au bon vagabond, il a repris son chemin. Conforté dans son idée que l’apparence que cette société pitoyable veut donner ne vaut pas mieux que les guenilles qu’il porte sur son dos.                            Etienne

Un temps fidèle

Un temps fidèle

Sevrées de leur substance de vie, les feuilles mortes tapissent le sol et recouvrent les tombes. Dans leur décomposition, elles régénèrent leur terre de naissance. Au sein de la tragédie humaine, la mémoire des vivants se porte vers les défunts qui reposent en paix. Dans l’espace serein du processus continuel du changement, c’est le temps des souvenirs.

Le vent froid de l’est tente de prendre ses quartiers, le vent tiède de l’ouest arrive depuis la tempête qui frappe la grande mer, le vent chaud du sud essaye de s’imposer mais se fait déchirer par le vent glacial du nord. L’astre solaire ne parvient plus à percer la voûte céleste. C’est une confrontation monumentale. Le processus continuel du changement, c’est le temps des combats.

Les conifères résistent mais les feuillus cèdent car la lutte est perdue d’avance. La longue nuit froide s’approche et anéantit rapidement la lumière, qui modère l’arrogance de l’éclat éphémère. Le tapis vert et gras du temps des fenaisons s’aplatit. Il se pare d’un voile brun qui annonce sa mise au repos. Dans le processus continuel du changement, c’est le temps de l’apaisement.

Les couleurs vives disparaissent peu à peu dans le gris permanent qui règne en maître incontesté. Malgré tout, les parures se font belles et lorsque des rayons parviennent à transpercer le temps chaotique, les teintes sont remplies d’ivresse. Dans le processus continuel du changement, c’est le temps du pastel.

L’armada pluvieuse se déverse tel un torrent, inonde les prairies, gave les citernes, fait renaître les ruisseaux et les rivières. Elle purifie une nature sèche qui criait à la soif, qui n’en pouvait plus de vivre de ses réserves, et donne sa force à la vie. Dans le processus continuel du changement, c’est le temps du débordement.

Il est intense et parfois excessif, mais c’est un temps vrai et fidèle, c’est novembre.              Etienne

Ligne d'horizon

De la houle se détache cette ligne lointaine, vaste, tendue par le fil de son charme qui s’étire d’un bout à l’autre de ma vision cachetée de déraison.

Épris de son mystère, j’avance peu à peu dans les méandres de l’immensité mais plus je la cherche, plus elle m’échappe. Désemparé par cette insolence insondable et vampirisé par ce funeste destin, dans le désespoir, je coule lentement.

La tentatrice, peut-être repentie, sort ma tête de l’eau et me souffle : arrête d’essayer, tu n’y arriveras pas, c’est un leurre. À l’inverse de ta croyance candide, ce grand espace n’est pas réalité, il est présent seulement pour ton humilité. Alors avance et sois intrépide jour après jour, mais sans t’inquiéter du dénouement. Après la traversée d’une quantité innombrable de vagues, parfois petites, parfois énormes, ta cécité égotiste disparaîtra et se transformera en clairvoyance infinie.                                                                Etienne

                                                                                                                                                             

Une fille d'Aphrodite

Elle est maquillée à la manière d’une reine de beauté avec la rosée pour fond de teint et le soleil pour l’éclat de sa peau veloutée. Le rimmel naturel qui met en valeur ses formes voluptueuses la transforme chaque matin en séductrice. Charmante et fragile, elle se défend de l’affront au moyen de ses épines acérées, pouvant faire couler le sang de l’imprudent impudent pensant, peut-être, qu’elle lui appartient. Résidente royale d’un domaine digne de sa prestance, elle se complaît, parmi ses sœurs, dans un destin arrosé d’éloges. Ses amants s’agenouillent devant elle pour humer la présence délicate de son fond suave, composé de toute l’essence magique qui coule dans son intérieur. Son fluide magique transpire et ressort par vagues successives, dans le but de sustenter du bonheur de sa présence l’âme de ses admirateurs. Une fois, un jour, arrachée à sa famille, son temps devient provisoire. Seule, mais encore plus belle et offerte, elle chauffe et colore les pommettes d’une autre élégante, ravie par l’offrande de son galant passionné.                                          Etienne

Une pluie de sagesse

Elle vibre en moi à la manière d’une joyeuse cascade…

Une cascade qui s’écoule et creuse un sillon profond, conduit son nectar à l’intérieur de mes veines engorgées de vaillance, d’euphorie et de bien-être.

Bien-être dont la source est purifiée par la fonte d’un orgueil qui se dissout, ravive la volonté tenace de comprendre les méandres chahutés de la vie… Semble vouloir jouer, se cacher et réapparaître, tout en faisant fi des caprices humains immergés dans la soif immodérée d’une gloire éphémère.

Gloire éphémère qui ne sert qu’à vouloir rechercher la prochaine. Remplacée par l'eau purifiée de la tendresse profonde d’où sort le savoir du bonheur véritable, conséquent à l’abandon des prétentions déraisonnables favorisées par les sens esclaves du fragile désir.

Désir qui devient beau et fluide, purifié par l’ajout d’une joie immodérée, désaltère mon âme comme un torrent gracieux et emporte avec lui toute trace de désaveu.

Désaveu remplacé par la grâce d’une raison intense, peut ainsi croître et s’étendre au fil du temps présent et à venir.                                                                                                                                     Etienne

Nuage de pensées

Installée dans la quiétude d’un jardin agrémenté de fleurs formant une symphonie visuelle, une âme s’exalte à la vue d’un nuage immaculé qui glisse langoureusement, prend son temps à fermer sur son passage la vision du ciel infini. Laissant entrevoir sa grâce, il donne au rêveur le sentiment de l’absolu et ouvre la porte de la beauté d’un tableau aux couleurs du passé…

…Passé parfois tout noir que reflète cette terre remplie de contradictions, cernée par la jalousie et la cupidité, ne récoltant finalement que les affres de la folie collective. Mais aussi passé teinté de pigments légers comme le sourire issu de la force tranquille, distillée telle une source enivrante sur le parvis de l’effervescence humaine, lui apportant la sève nécessaire à la réalisation d’une vie…

…Vie non sollicitée, issue d’une formule incomprise qui amène l’homme au milieu de tout, au milieu de rien, qui lui donne quelques éléments fondateurs et le laisse déchiffrer la combinaison. Démêler les nœuds superposés de la corde de l’existence, tirer encore et encore, afin de trouver sa solution en faisant fi des impérieux briseurs de volonté…

…Volonté, peut-être la seule clef à engager dans la serrure de cette situation étrange où des créatures se retrouvent dans un lieu au milieu des galaxies. Ouvrir le tiroir, chercher, fouiller et ressortir le soi, la conscience qui dirige et l’intuition qui perçoit, facultés innées utilisées à mauvais escient pour le malheur et à bon escient pour le bonheur…

…Bonheur d’être immobile, dans le repos de la symphonie visuelle, exaltée par le nuage…

…Nuage immaculé glisse langoureusement…

…Langoureusement l’amante se dévêt.

                                                                                                                                                   Etienne

L'âme vagabonde

Dans le rêve du monde dual, l’attrait du merveilleux se heurte souvent à ma raison. Elle veut me faire revenir au concret, au droit chemin, me souffle… sois raisonnable. Elle robotise mon être et m’empêche de déceler dans cette portion d’univers de la vie, la substance désirable qui me tend ses bras depuis les temps anciens. Le reflet de ma pensée comble le temps telle une horloge qui au lieu du tic-tac, marque les étapes successives de l’existence matérielle en affichant bien mal, bien mal car hésitante à accepter l’essence du bonheur. Mon âme ne s’en soucie pas, elle vagabonde, heureuse dans le pré des souhaits inondé par la chaude pluie, faite d’images passionnées qui défilent dans la luxueuse collection que l’existence éphémère a déposée sur le parcours. Elle jongle avec les anneaux de ma conscience, qui recherche jour et nuit la passion perdue et désirée. Retrouvée et mise à l’abri dans le coffret intime, elle attend patiemment la prochaine merveille qui surgira et s’évadera pour son plus grand bonheur.                                                                         Etienne

L'œil du phare 

Le vieux phare domine cet océan paré d’émeraudes et de turquoises. Bien ancré, indéracinable, il protège le navire de la dureté de la falaise, empêche le fracas de la coque et le naufrage, suprême offense pour le marin au long voyage. Sa lumière unique luit à la manière de l’œil de la conscience placé en chacun et perçu par qui le désire.

Flamme vivante de la méditation profonde qui plonge dans une forme d’inconscience éveillée et amène à la concentration. Apporte la réception de la réalité, la vue intense de l’absolu et la connexion à l’âme présente et joyeuse, trouvant ainsi les réponses à la relativité des épisodes de vie.

Lumière du phare dirige la matière, lumière de l’œil éclaire l’esprit, lumière de l’âme dirige vers la seule réalité. En cela, tout est bien, tout est parfait.                                                                       Etienne

Le flûtiste du printemps

Je parcours le bord de la rivière, vous savez, cette belle qui ressemble à des émeraudes flottantes lorsque le soleil y reflète les rayons brûlants de son feu. Elle dispense sa beauté, tantôt transparente comme une eau-de-vie en surface quand la boue reste au fond ou tantôt brunâtre, lorsqu’en colère et trop remuée.

Voilà que j’aperçois le petit pont de pierre au loin, je m’approche et distingue sa voûte ancestrale légèrement incurvée. Je m’arrête pour observer son tempérament robuste fait de moellons façonnés par les saisons, qui l’ont ainsi formé en harmonie avec la nature, sa voisine. Il est bien poli, bien usé, il faut dire qu’il a rendu tant et tant de services à éviter le long chemin en amont et rapprocher des désireux de faire la rencontre, peut-être même la première, mais s’en sont aussi parfois retournés de déception.

J’entreprends la traversée sur son sol où les épais galets, le sable et la mousse se côtoient harmonieusement et arrivé au milieu, sur sa large bordure, je caresse un chat se prélassant au soleil, les yeux mi-clos, ronronnant dans une grâce ensommeillée.

Charmé par cet environnement, j’entends alors le son d’une flûte voleter comme du pollen en suspension sur l’élégante dame printanière environnante, verte ou en devenir, avec des primevères et des narcisses ici et là, dégageant une odeur suave, chaude et fraîche en même temps. Avec à foison, abeilles et bourdons, fourmis et moucherons, tous artisans et acteurs contribuant à l’éclosion de cette vie enchanteresse du printemps.

La mélodie se rapproche et le jeune artiste apparaît avec son instrument, concourant à former un paysage encore plus beau. D’ailleurs, des oiseaux ne s’y trompent pas, ils se posent délicatement près de lui d’une façon ordonnée et semblent écouter, un peu à la manière des enfants devant le professeur.

Le flûtiste s’assied au milieu du monument et continue à produire son art. Des promeneurs s’arrêtent, enchantés par cette improvisation venue de nulle part. En un court moment, le pont est parsemé de gens heureux et comblés par les vertus du musicien enchaînant les morceaux de son répertoire printanier et joyeux. Il sourit, fait des clins d’œil, s’arrête et recommence à jouer. Il profite de son succès, dirige sa flûte en direction du ciel qui enveloppe de lumière ce monde trop sérieux, trop grave et trop triste à devoir supporter l’amère misère, la déception et la guerre.

Puis il repart comme il est venu, en flûtant encore et encore, se dirigeant tranquillement vers un avenir qui ne le préoccupe nullement, car convaincu que l’instant présent est le meilleur moment de la vie de l’homme.                                                                                                                                                         Etienne

Le mur

Il représente bien la bêtise humaine. D’une hauteur sans fin, infranchissable, fabriqué d’un concentré de jalousie et de colère, enrobé de cette peur continuelle trouvant son origine dans la malveillance. Rempart malsain qui bloque et stocke les insanités accumulées, invente toutes les excuses pour justifier une attitude écœurante et ses conséquences funestes, sollicite hypocritement le ciel pour s’absoudre d’une élévation outrancière.

Ne pouvant passer par-dessus au risque de chuter et finir écrasé devant lui à sa très grande satisfaction, il faut alors le longer lentement, le contourner, le dévisager. On remarque alors sur sa face l’absolue stupidité de la négativité lorsqu’elle est associée à un pouvoir éphémère, mais tant jouissif pour l’inepte qui s’attribue le droit malsain de décider ce qui est bon pour l’un, mauvais pour l’autre, et entrave par son joug la volonté naturelle du rapprochement universel, seule essence de l’humanité.

Jalousie qui se reflète dans sa teinte blême, colère composée de la ferraille de ses entrailles, peur qui enveloppe le tout et lui attribue son aspect feint de forteresse.

Ce frêle bastion ne pourra néanmoins résister encore longtemps au dépit grandissant des peuples asservis, dont le ressentiment se transformera en grondement dominant, brisera l’amas aggloméré de haine et d’orgueil, et laissera dans ses débris les cadavres des bâtisseurs maudits.

Une fois retombé ce cycle de ténèbres, la lumière réapparaîtra, faisant fi de l’ombre de cette dérisoire clôture dont il ne restera aucune noirceur, aucun fer, aucune peur. Le parfum de l’herbe chaude remplacera la puanteur des abcès de sa rouille. Alors, l’espace ne sera plus délimité par des frontières fielleuses, il fera place à une bordure faite d’hommes, de femmes et d’enfants joyeux se tenant fort, se serrant dans la promesse d’une amitié simple, faite des valeurs d’une charte humaine, non écrite par des fourbes, mais véridique car imprimée dans la conscience des faiseurs de paix.                                                                                Etienne

La muse

Que peut bien ouvrir cette grande et ancienne clef abandonnée sur le bord du chemin ?

Je remarque au loin une petite bâtisse dont je m’approche, curieux, me disant que peut-être je percerais l’énigme de la caroube trouvée. Arrivé devant, j’aperçois alors un escalier de pierres qui descend au sous-sol et je m’arrête devant une porte massive. Rustique, sans poignée mais avec une puissante serrure, elle barre une entrée qui mène possiblement à une sorte de repaire.

Porte qui ouvre un monde que je ne vois pas, rempli des rêves d’un artiste qui place les éléments de ses œuvres d’une manière, d’une autre, rajoute, modifie, efface, termine enfin, content ou pas toujours. Qui transcrit son âme dans un tableau, sa conscience dans un poème, son esprit dans la musique, fait fi de ce qui l’entoure et part à la recherche de la plus parfaite des beautés en créant visiblement l’invisible.

Fautif, mais intrigué, j’engage la clef, espérant ne pas m’être trompé, et j’entre dans l’excavation. Deux grands soupiraux assurent une luminosité à la pièce voûtée, murée de grosses pierres et divisée en trois parties. Au fond, le chevalet et la palette ; de côté, le lutrin, le violon et l’archet ; devant, l’écritoire, le papier et la plume.

Des œuvres sont rangées ci et là, classées achevées ou en vrac inachevé, sûrement dans l’attente d’une inspiration qui viendra un jour de la muse bienfaitrice, celle qui ne dit mot, qui assiste sans assister, qui se contente d’être présente dans la tête du poète bien avant que le thème de sa future création lui soit connu.

Muse mystérieuse qui réanime l’amoureux de la pensée écrite, l’amant de la double-croche, l’exalté de la forme et sa couleur. Nul ne sait comment, nul ne sait pourquoi, une descendante de Zeus s’arrime parfois, comme une bouée au navire en perdition, à l’esprit chahuté de l’artiste désemparé pour lui rendre sa dignité et son bonheur de créateur.                                                   Etienne               

Une rosée romantique

Fraîche et transparente, elle perce le ciel de l’aurore du monde ensommeillé, dans l'attente du réveil de la journée d’été. Au loin, un violon de Vivaldi dispense un air de saison qui enveloppe de sa douceur et de sa vivacité l'arbre et ses fruits. La vie se réchauffe et disperse par à-coups des volutes de vapeurs chaudes sorties de l’âme de la terre, se répandant à foison dans ce paysage assoiffé d’existence.

Ici et là-bas, on entend aussi une flûte de Quantz qui varie au gré du vent. Flûte au vent d'harmonie qui souffle sans s’essouffler, tantôt à l’est, tantôt à l’ouest, comme ne sachant pas quelle direction prendre au milieu des milles saveurs proposées. Chaleur du sol, humidité de l’air et azur du ciel brillent par le jet des rayons du soleil levant, prenant ainsi délicatement congé d'une lune fatiguée de sa nuit.

Vivifiante, cette rosée offre une romance à sa nature et la comble de ses bienfaits, accompagnée par la grâce du son des instruments éternels.                                                              Etienne

Le coucher de lune

Le coucher de lune

Au plus profond de l’été, se lever tôt procure souvent un plaisir incomparable. Dans le silence du petit matin, une symbiose naturelle ouvre la voie au réveil. Dans un ordre établi, les oiseaux se mettent à chanter dans une harmonie improvisée. Le vent léger souffle en continu en faisant danser délicatement les arbres et les fleurs. Parfois, une petite rosée gouleyante dispense sa fraîcheur et humecte le sol qui crie son besoin d’eau. C’est le tableau animé de la nature avec sa force invisible qui, jour après jour, renouvelle les besoins d’une terre parfaite, donnant beaucoup plus qu’elle ne reçoit.

Mais pour que le jour arrive, il faut que la nuit s’en aille…

À travers l’aurore d’une nuit d’été, l’obscurité offre sa place à l’azur bleu limpide, qui apparaît discrètement et délicatement dans la voûte, éteignant une à une les étoiles.

Le sol et le ciel s’étirent longuement, se revêtent d’un manteau de fraîcheur à travers une brise exquise, qui enrobe les feuilles de l’arbre frétillant de plaisir.

Une légère goutte de rosée se pose délicatement sur le nectar parfumé de la fleur ouverte à la vie, dans l’attente de la venue de son abeille, invitée à se délecter en excès.

Prémices d’une journée où le soleil dispensera la chaleur extrême depuis le sommet de son apogée, grillera à foison le pré jaunissant, dérobera l’humidité d’une terre de plus en plus craquelée par la privation de la manne du ruisseau. Bientôt asséché, il sera contraint, pour un temps, de laisser apparaître ses pierres de fond nues, exemptes des larmes de la source qui font son bonheur.

Dans la quiétude de ce nouveau jour illuminé par l’harmonie d’un merle qui annonce la fin du sommeil réparateur et l’éveil d’une journée aux couleurs vives, elle se montre avec insistance. Gracieuse, elle paraît si loin mais aussi tellement proche, prête à descendre rejoindre l’infini en s’endormant tranquillement à son tour, jusqu’au prochain crépuscule.

C’est un beau coucher de lune.                                      Etienne

 

Poussière de dune

Brûlante et piquante, elle danse lorsque le rayon de feu, au plus profond du jour, l’enveloppe de toute son intensité. Éparpillée par le vent brûlant du sud, elle monte, tombe, remonte et retombe au gré du tourbillon. Elle crée des stries et des faux chemins. Des vagues se détachent de tous les côtés de la dune, provoquant ce chaos sableux et donnant au paysage une structure de lune terrestre. À la tombée de la nuit, enfin, fatiguée de virevolter, elle se calme, refroidit ses ardeurs et stagne, figée dans le silence de la nuit du désert.

Un jour, la pensée intensive cesse son œuvre dans les méandres routiniers d’un cerveau agité par les effets pervers du souci permanent. Cette forme d’obsession qui l’oblige à ne jamais vouloir lâcher prise et traîne insidieusement sa victime dans une bourrasque perpétuelle. Grâce au temps qui passe, elle comprendra que la vie ne lui en veut pas, mais veille à éveiller sa conscience à la conscience, guidée par le silence de la nuit de son désert.                                                                                                                              Etienne