L'été de l'accordéoniste

Ritournelles, ballades, valses, il joue au bord du passage. Cela fait très longtemps que cette petite ville côtière survolée par les goélands et parfumée des embruns de l’océan vit au rythme de son vieil accordéoniste.

Présent chaque jour de la belle saison, assis sur sa chaise pliable autant usée que sa chemise et son pantalon. Le vieux bonhomme, à la peau burinée par le soleil et le vent marin, cheveux blancs en broussaille, pianote sur son clavier avec ses doigts longs et encore bien souples en remuant ses épaules du tempo dicté par son instrument fétiche.

À ses côtés, une antique poussette lui servant de voiture où quelques affaires sont posées et en y regardant bien, au milieu, trônant comme un roi, son chat, fidèle ami. Il le suit depuis toujours et participe au spectacle en invitant par sa présence féline et nonchalante le passant à déposer l’obole dans la boîte fendue en fer-blanc.

Son prénom est Pablo ou José mais cela n’a pas vraiment d’importance, il a un passé comme tous et son avenir il s’en fiche, vivant le présent heureux sans aucune préoccupation. Il ne possède rien et sa pauvreté ne l’a pas invité à découvrir le monde. Alors il a créé ses propres voyages en parcourant le temps au moyen de son piano à bretelles et en utilisant son plus grand trésor, sa joie de vivre, qu’il communique à ses « clients » occasionnels ou réguliers.

Ceux qui passent et repassent offrent la pièce ou parfois même le billet et certains prennent une photo en sa compagnie. Il y a les gênés, les pressés, les distraits. Les enfants aussi s’arrêtent pour découvrir le son harmonieux du musicien de rue. Ils deviennent ses complices durant un instant, et quémandent pour lui un peu de monnaie à un parent, qu’ils s’empressent de glisser dans l’orifice.

 Et puis, il y a cette jeune femme assise sur la bordure en pierre en face de lui qui délimite la promenade du port pittoresque garni de bateaux de pêche, dont certains sont aussi âgés que notre vieux musicien. Ravi de sa présence, il reprend de plus belle un couplet qui exhorte la belle à danser et s’envole gracieusement vers le soleil couchant de ce paysage d’été à la mer. Heureux de leur complicité subite, la danseuse et le troubadour se charment par des sourires et des éclats de rire. Ils se sont trouvés comme amis, il jouera pour elle, elle viendra pour le voir, l’écouter, la vie est belle.

Mais il se fait tard, notre musicien est fatigué, difficilement il se lève, et prépare ses affaires pour rentrer se reposer dans son petit logement modeste. Sans ce confort qu’il n’a jamais eu et d’ailleurs même pas recherché tant il est humble et heureux de vivre, simplement en jouant sur le bord du passage. Il reviendra demain, au fil des étés, jusqu’au jour où l’ailleurs lui demandera de l’honorer de sa présence.

Alors, les goélands mouilleront l’esplanade de leurs larmes au milieu d’un soleil couchant qui s’inclinera un peu plus sur l’océan infini, pour lui rendre hommage et l’accueillir dans la félicité.

La belle petite ville de la côte sera en deuil de son vieil accordéoniste qui lui a donné tant de bonheur, heureux sur sa chaise bringuebalante en compagnie de son chat, et se souviendra de lui en fredonnant les airs heureux et nostalgiques, dont mêmes les pavés ont été imprégnés.                                                 Etienne