La paix pour les nuls

Le soldat rentre enfin chez lui après six mois d’absence. Dans la cour de sa petite ferme isolée au milieu d’un champ, quelque part là-bas, sa petite fille attend patiemment. Elle sait que son papa va arriver bientôt. Sa maman lui a lu sa dernière lettre où il annonce son retour. Elle est heureuse, il la prendra dans ses bras, il la fera tourner, virevolter encore et encore. Elle entourera son cou de ses petites mains et lui fera plein de câlins.

Le militaire en permission arrive à proximité de sa maison. Il est fatigué car il a longtemps combattu sur le front, sur le champ de bataille. Il participe à une guerre, une de plus, décidée par d’autres. Il n’a pas eu le choix alors, il a tiré, essuyé des tirs et plusieurs de ses compagnons sont tombés. Il n’a dormi que très peu durant cette période de mobilisation et il était tenaillé par la peur. Non pas celle de mourir et quitter cet enfer créé par ses congénères, mais de laisser une veuve et une orpheline dans le chagrin et la disgrâce.

Après une petite période de bonheur intense, entaché de la tristesse de son prochain retour au front, qu’il fera en sorte de cacher au mieux, il repartira une fois de plus dans le grand jeu macabre de la loterie humaine.

Mais où donc pourrait bien se situer le conflit en question ? Et dans quelle époque ? Peut-être une guerre antique ou moyenâgeuse, la guerre de Cent Ans ou de Trente ans, ou la guerre de 70, de 14 ou de 39, celle de Corée ou du Vietnam. En fait, ça n’a pas d’importance sur le fond, c’est un conflit de plus qui s’ajoute à une liste gigantesque. Il a débuté par quelques joutes verbales dispersées à la volée, puis une montée en puissance, le temps de s’armer et surtout de convaincre les peuples que la guerre devenait inévitable, ceci malgré tous les efforts entrepris par les gouvernements. Ensuite, des provocations plus sérieuses sont venues de la part des fauteurs de troubles expérimentés, du même genre que celles qui règnent dans une cour d’école. Chacun a sûrement dans un coin de sa tête le souvenir des trois gaillards mal intentionnés qui arrivaient à ficher la pagaille parmi les vingt qui se comportaient normalement.

Lorsque les conditions semblent bien remplies, on peut enfin en découdre et fixer la fleur au fusil, même si elle ne mettra pas long à se faner. Dans la guerre dite moderne, on précisera alors que les cibles seront choisies, que seules des installations militaires seront visées. Le code de la guerre sera respecté et ma foi, en cas de débordements, d’hôpitaux détruits, de classes d’école anéanties, la faute sera attribuée à l’autre. Le niveau ne dépassera pas celui des disputes enfantines dans les garderies, mis à part l’absence des mamans qui, malheureusement, ne pourront pas remettre à l’ordre les garnements.

Ensuite, le monde s’insurgera et c’est légitime, car la proportion d’humains désirant la guerre est inversement proportionnelle à la bêtise, pour ne pas dire un mot grossier, des déclencheurs de chaos. Frustrés et stupides de la première heure sans aucune faculté de remise en question, les artisans de guerre ont depuis la nuit des temps semé les graines de la discorde. Ils ont envoyé au casse-pipe des générations de pères de famille, de jeunes hommes qui avaient la vie devant eux, de femmes et d’enfants, victimes de ce qu’on appelle ironiquement les dommages collatéraux. Sans oublier bien sûr les animaux qui sont délaissés et la nature, une fois de plus polluée à outrance par les mouvements de troupe, les gaz, les fumées, les destructions.

Qu’il s’agisse de problèmes de territoires, de politique, d’idéologie, de nationalisme, de patriotisme, de religion, de richesse des sous-sols, de domination sur les mers, le (bon) prétexte est toujours trouvé. Le biceps tendu sert à diriger le monde et à dissimuler la mollesse du cerveau. Le résultat étant que la fin justifie les moyens, le jeu de la guerre fait le bonheur d’une minorité, qui entraîne malgré elle une majorité, bien obligée de se défendre.

Écrire un mot sur ce sujet semble même devenu dépassé tant les guerres sont presque devenues une normalité. Tout a été dit depuis fort longtemps sur le sujet et d’ailleurs les livres d’histoire regorgent d’explications sur les campagnes militaires et les tactiques guerrières.

Depuis des siècles, l’art de la guerre est expliqué de long en large, un peu comme s’il fallait convertir les gens normaux, réfractaires, artistes, poètes ou non-violents à devenir des bons guerriers, sans oublier de les convaincre que la mort au combat apporte les honneurs.

Alors, pour la femme et la petite fille du soldat, c’est un peu mal engagé car elles ne pèsent pas lourd dans cette balance, qui n’est pas celle de la justice. D’un côté, leur désir légitime de vivre en paix et de l’autre, la puissance des gouvernements crasseux dominés par le fric qui surfent sur la bêtise nationaliste. On peut encore ajouter les multinationales qui profitent du chaos pour s’imposer, sans oublier les fabricants d’armes qui mettent au point les mille et une façons de tuer.

L’art de la guerre existe depuis toujours, il serait peut-être bien que les va-t-en-guerre commencent à étudier l’art de la paix. À quand donc la première édition du livre « La paix pour les nuls » ?                      Etienne